Se battre pour s’intégrer

Depuis toute petite j’ai toujours été fasciné par la langue des signes et par ces gens qui ne pouvait rien entendre. Comment vivent-ils ?

J’avais croisé Sébastien à plusieurs reprises et j’étais toujours épatée par sa jovialité et son énergie. Notre échange m’a marqué malgré ma compréhension partielle de ce qu’il me disait, une certaine pudeur à se dévoiler et ma méconnaissance du monde des sourds. Méconnaissance assez commune car auparavant, les sourds étaient considérés comme des arriérés mentaux. Ce n’est qu’au 18ème siècle que la langue des signes fut inventée et qu’on a envisagé de leur donner un peu de considération. Certains handicaps nous semblent plus faciles à nous représenter, mais nous n’avons absolument pas conscience du quotidien d’un sourd. 

Cet interview fut un challenge car la discussion face à face est difficile, et le français n’étant pas la première langue des sourds (c’est la langue des signes qui est différente dans chaque pays), ils sont généralement très mal à l’aise à l’écrit. Je ne souhaitais pas engager de traducteur, il me fallait donc rencontrer LA bonne personne. Pour parler de l’enfance de Sébastien, son papa a lui aussi participé. Cet article est donc une reformulation de ce que j’ai pu comprendre de l’échange avec Sébastien, des réponses de son père et des documentaires que j’ai regardé sur le monde des sourds. J’espère qu’il vous donnera un nouveau regard.

Sébastien, peux-tu te présenter ?

J’ai trente-cinq ans, je suis paysagiste et je vis en couple avec une malentendante. J’ai deux enfants de onze et deux ans.

Comment ta surdité a-t-elle été découverte ?

C’est vers deux ans que la surdité de Sébastien a été reconnue, nous ne connaissons toujours pas la cause, si c’est de naissance ou suite à une infection. Nous avions perçu une « différence » mais les médecins nous prenaient pour des fous. Sébastien est sourd mais pas muet comme la plupart des sourds.

En lisant le récit très complet qu’a pris la peine de me faire son père, j’ai été marquée par ce parcours du combattant : emmener leur enfant de médecin en médecin, d’hôpitaux en hôpitaux pour trouver des réponses, comprendre ce qui « cloche ». Ne pas être entendu ni écouté par les gens censés leurs apporter de l’aide. Entendre qu’il y a peu d’espoir d’une vie presque « normale » pour son enfant et se battre malgré tout. Je suis admirative devant le dévouement dont ont dû faire preuve ces parents, admirative  en pensant à tous les états émotionnels qu’ils ont dû vivre pendant toutes ces années.

Comment ta famille a pris en charge cette surdité ?

C’était un quotidien fait de rendez-vous orthophonistes, cours de langue des signes, cours de langage parlé complété qui a laissé peu de temps libre à Sébastien. Il s’est plié à cette discipline et à toutes les contraintes inhérentes dont l’appareillage auditif. Tout cela n’est pourtant pas facile à accepter pour un tout petit enfant.

La scolarité a également été un casse-tête, Sébastien a été scolarisé dans de nombreuses écoles différentes en Suisse et en France. Certaines étaient spécialisées et d’autres étaient des écoles pour tout public ; la prise en charge des enfants sourds était souvent inadaptée.

A l’adolescence est arrivé l’âge d’apprendre un métier. Il s’est dirigé vers le métier de paysagiste dans une formation à Chavanod. Il bénéficiait d’un interprète pour tout traduire et pendant toutes ses pauses ou heures de sport il faisait du soutien scolaire. C’est à force de persévérance que Sébastien a pu être formé pour avoir un métier « normal ». Il a choisi de travailler même si ce n’est pas toujours facile.

Et aujourd’hui, Sébastien comment vis-tu ta surdité au quotidien ?

C’est vraiment dur d’évoluer dans un monde qui n’est absolument pas adapté à nous. Imaginez, on ne peut pas téléphoner pour les rendez-vous administratifs, on n’entend pas les sonneries, ni alarmes, ni réveils. On n’entend pas les dangers potentiels de la vie courante, on n’entend pas son bébé pleurer… Il existe des dispositifs spéciaux qui utilisent des lampes flash mais c’est très cher. C’est un stress permanent de savoir qu’on peut « rater » des choses importantes ou dangereuses. Du coup nous sommes obligés de faire appel à des services d’interprètes privés pour les taches et rendez-vous administratifs de la vie courante comme les rendez-vous médicaux. Il y a un certain stress financier, car bien sûr l’état prend beaucoup de chose en charge mais pas tout.

Est-ce que tu avais peur que tes enfants soient sourds ?

Non je n’avais pas peur mais dès qu’ils sont nés j’ai voulu savoir pour anticiper la prise en charge. J’ai bien sûr été soulagé qu’ils soient entendants. Mes deux enfants ont appris intuitivement la langue des signes, un peu comme un enfant apprendrait l’anglais naturellement à force d’y être chaque jour exposé.

* Il faut savoir que la surdité a des causes multiples et pas toujours expliquées : génétique mais aussi infectieuse et donc pas forcement héréditaire. Les sourds entendent parfois légèrement les bruits très forts et perçoivent bien les vibrations sonores. Leurs autres sens sont souvent plus développés.

As-tu des regrets et des satisfactions liés à ce handicap ?

C’est dur. Heureusement j’ai beaucoup d’amis qui sont eux aussi sourds. Il existe des associations à Annemasse, Annecy et Genève. On se sent mieux en communauté, on se comprend, sinon c’est trop compliqué avec les entendants. Quand j’étais ado dans ma famille c’était compliqué, j’étais un peu isolé car c’était dur de parler avec eux, même s’ils ont pris des cours de langues des signes. Aussi je ne pouvais même pas regarder la télé car il n’y avait pas le teletext… Maintenant avec internet c’est quand même plus facile.

C’est compliqué car les entendant ne se rendent pas compte de nos difficultés, et nous devons nous adapter constamment. Moi, comme je lis sur les lèvres et que je peux parler un peu, j’ai la possibilité de communiquer un minimum mais c’est fatiguant. Lire sur les lèvres demande d’être très concentré car le cerveau doit reconstituer le sens de la phrase. Je suis parfois en colère que tout soit si difficile dans ma vie.

Y’a-t-il un message que tu voudrais donner à ceux qui vont te lire ?

Il serait bien que les entendants fassent l’effort de parler lentement avec nous, en nous regardant pour pouvoir lire sur les lèvres et ainsi arriver à les comprendre. Chez les sourds l’intelligence est là, l’envie de communiquer est là, adaptez-vous un peu pour avoir l’opportunité de partager avec nous.

Pour en savoir plus :

L’émission l’œil et la main sur France 5 (diffusé chaque lundi à 10h15 ou disponible en replay)

Reportage Arte l’Eloquence des sourds  https://www.youtube.com/watch?v=QnyEXkpRM2s

Association Passerells Annecy http://www.passerells.fr/

L’association « Signe des mains » qui organise une fois par mois des rencontres entre sourds et entendants sur Annecy. Contact : www.signesdesmains.org

Propos recueillis par Elsa Thomasson

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